Lettre à toi, jeune con d'étudiant.

Qui n'a jamais été étudiant me jette un ceintre. J'aime les étudiants. J'ai adoré faire des études.


Quand j'avais 18 ans, j'étais en en 2ème année de feu-DEUG, dans une université plutôt pauvre. C'était en 1995. Cet automne-là, je me souviens de m'être battu pour des idéaux que je croyais légitimes, et que je pense toujours légitimes aujourd'hui, à savoir, faîtes quelque chose pour les universités, bordel, ou bien on va tous mourir. J'étais un jeune idéaliste, aucunement syndicaliste. J'ai participé pendant 3 semaines à ce qu'on appelle aujourd'hui les grèves/le mouvement social de 1995. Y avait pas que nous, les étudiants, dans les rues. Il y avait tout plein de gens très drôles et pas très contents avec tout plein de revendications, qui ne l'étaient pas moins, drôles. Armés de gros feutres qui tâchent, nous passions nos matinées ou après-midis à fabriquer de jolies banderoles multicolores parce que le lendemain, on les exhibait dans les rues.

Je me souviens de notre cri de motivation, "ONE BIG MOB", en référence à une chanson des Red Hot Chili Peppers, qu'on écoutait en faisant les banderoles pour se motiver. C'était ben l'fun toute cette énergie à revendre. One big mob, oh yeah, oh yeah. One big mob signifiait ici "one big mobilisation", car "demain, il faudra une grosse mobilisation dans les rues, les gars!". Je n'avais jamais fait de grafittis de ma vie. C'était très rigolo. On rivalisait sur les slogans. Ils étaient franchement nuls, il faut bien l'avouer. On cherchait surtout à y caser des rimes. Quand on y pense, c'est très étrange comment tous les grévistes de France mettent un point d'honneur à essayer de faire de la rime dans les manifs. La langue française est si belle que le Français ne peut s'empêcher de poétiser.

"Balladuuuuur, si tu savaiiisss
Où on s'le met ton C.I.P !"
"Étudiants en colère,
y'en a marre de la galère"

Notre grève n'était rien d'autre qu'une lutte des classes. Les universités pauvres, sous-dotées de moyens par rapport aux riches (parisiennes notamment), se rebellaient pour demander plus de miettes du gateau. Du fric. Du matériel. Des personnels enseignants, administratifs, techniques, etc... Je me rappelle des interruptions de cours au tout début du mouvement, une horde de gens déboulant dans les amphis bondés, s'octroyant la parole pour annoncer la couleur et inviter à venir manifester le lendemain et à se mettre en grève. Je me souviens aussi des autres étudiants, qui hurlaient dans les amphis leur mécontentement. C'était effectivement houleux avec les étudiants plutôt à droite politiquement qui étaient majoritairement contre les revendications (la droite était au pouvoir à l'époque). Ils sont restés bien aux chaud chez eux, à réviser pour les examens au cours de ces 3 semaines de grêve. Quelle bande de fayots.

J'ai adoré ces moments de révolte, cela a permis de nouer des liens, de faire de nouvelles rencontres et de comprendre un peu plus le système de fous qui tente de nous gérer.

Malgré tous ces problèmes, malgré tous ces manques de moyens flagrants et récurrents, les étudiants moyens les plus motivés, comme moi, s'accrochent et passent les obstacles un à un. La raison simple de notre motivation et réussite est que nos familles ne roulent pas nécessairement sur l'or. Il fallait faire tout pour arriver au but qu'on se fixait sans prendre trop de retard, et ainsi sans vivre encore trop longtemps aux crochets des parents.

Je me rappelle que mon cursus scientifique imposait de très grosses semaines de travail, avec 35h d'heures d'études, entre les cours magistraux, les travaux dirigés et les travaux pratiques. En plus de cela je passais des heures à la bibliothèque pour y travailler. Je me souviens par exemple l'année de maîtrise où on avait même fini de travailler un 23 décembre à 20h par un TP de physique nucléaire, alors que toutes les autres facultés étaient en vacances depuis plusieurs jours. Mais on aimait ces semaines chargées. On apprenait et découvrait plus chaque jour.

Autant te dire tout de suite que dans mon cursus, très rares étaient ceux qui avaient une job de merde pour se faire des sous-sous dans la popoche, en dehors des études. Je n'ai connu qu'une seule personne, c'était en feu-DEA. Et encore, elle ne travaillait que la fin de semaine. En bref, je suis en train de te dire qu'on vivait, et qu'on vit encore, aux dépends de nos parents jusqu'à ce qu'on finisse nos études.

En 1ere année de feu-DEUG, je me souviens qu'on était 720 étudiants, pour une ville de 220 000 habitants. J'imagine que le nombre a légèrement baissé, car les sciences dures paraissent moins attrayantes actuellement. Mais ça doit rester dans ces eaux-là.

Puis, j'ai travaillé à l'Université de Montréal pendant quelques années. Montréal et sa banlieue, c'est 3.5 millions d'habitants, 4 universités, dont 2 grosses universités scientifiques, McGill et l'UdeM. Là-bas, ils sont une centaine maximum en première année de BAC scientifique, l'équivalent du feu-DEUG. Hein, si peu te demandes-tu ? Mais pourquoi cela ? N'y-a-t'il pas autant voire plus de jeunes que dans ta ville paumée désireux de devenir chercheur ? Oui, certainement autant en proportion. Pas plus, ni moins en fait. Mais alors, pourquoi ce décalage ?

Là-bas, vois-tu, les frais d'inscription avoisinnent plus de mille euros par session. Une session, c'est 3 mois de cours. Ce n'est rien comparé à ce que d'autres univeristés canadiennes ou US demandent. Mais c'est énorme pour toi, petit Français. Tu as compris, l'argent filtre le nombre d'etudiants dans les facultés. Là-bas, les étudiants qui n'ont pas la chance d'avoir des parents riches et des bourses d'excellence travaillent en dehors des heures de cours. Ils ont plus ou moins le temps en fait, car il y a moins de cours qu'ici. Certains étudiants s'arrêtent même une année complète pour travailler afin de pouvoir emmagasiner de l'argent et payer leurs études à venir. J'ai rencontré plusieurs étudiants de Master ou en doctorat aussi agés que moi, voire plus âgés, alors que moi j'étais en post-doctorat. Contrairement à eux, je n'ai jamais eu à m'arrêter pour travailler et payer mes études. Je n'ai donc pas de "retard" par rapport à eux. Laisse moi te dire que ça les étonnait de me voir si jeune et si loin déjà.

Voici maintenant où je veux en venir.

Aujourd'hui, en France, des jeunes étudiants défilent dans les rues contre le projet de loi d'autonomie des Universités. Je ne vais pas rentrer dans un débat long et douloureux sur l'utilité ou non de l'autonomie d'une Université. Il y a sûrement des choses à réformer dans les Universités, je ne le nie pas. Mais ce dont je suis certain, c'est que cela signifie à terme une augmentation des frais d'inscription pour les étudiants. C'est mécanique. "Vous allez être plus autonome, on va intervenir moins dans vos décicions, on va se retirer petit à petit de chez vous, y compris notre argent. Vous trouverez des sous autre part. Ca se fait ailleurs, pourquoi pas ici ?"

Je n'aurais jamais pu devenir ce que je suis aujourd'hui si les universités françaises avaient eu des droits d'entrée de plusieurs milliers d'euros à l'année, en plus du loyer et de la bouffe à payer, tout simplement parce que mes parents n'auraient jamais eu l'argent pour me payer ces études. J'aurais peut-être eu une bourse pour les faire, mais très certainement j'aurais fait autre chose que des études, avec des regrets de ne pas avoir pu tenter de réaliser un rêve d'enfant parce que mes parents n'avaient pas les moyens.

Toi, jeune con d'étudiant qui lit ce billet, tu as le choix de décider de l'avenir des universités.
Soit tu te dis qu'un système où l'argent filtrera l'accès au système éducatif, comme dans mon exemple à Montréal, ne peut être mauvais, ou soit tu te lèves et tu te bats pour préserver ce droit d'accès gratuit aux études pour tous.

Soit tu décides d'assister à d'une révolution culturelle (frais d'entrée élevés, donc moins d'etudiants, moins de cours aussi, et une spécialisation assez précoce), ou soit tu te bats pour conserver une universalité et une diversité des enseignements universitaires.

Soit tu décides de laisser s'épanouir un système où tu ne choisiras pas nécessairement l'enseignement qui aurait pu te mener vers le métier que tu aimerais faire mais celui vers lequel on te proposera d'aller, ou soit tu décides de te battre pour te laisser guider par tes rêves et tes envies.

Soit tu décides que dans la vie on fait ce qu'on peut et pas ce qu'on veut, ou soit tu décides d'essayer de préserver le contraire.

Ami étudiant, tu as le choix. Je ne suis pas ici pour t'influencer. Je ne te dirai pas ma où va ma préférence entre ces deux systèmes éducatifs même si tu l'auras devinée.

Simplement, je n'ai qu'une chose à te dire: ONE BIG MOB !!! (oh yeah, oh yeah)

Bien sincèrement,
Lorenzo